La ruée vers l’or du Cariboo
Article par Marie-Hélène Bourret
Saviez-vous qu’il y avait très peu de francophones de l’est du Canada qui s’étaient déplacés vers les champs aurifères de Barkerville, lors de la ruée vers l’or du Cariboo?
Il semble en-effet qu’ils aient vite compris que ce n’était pas l’El Dorado que certains leur faisaient miroiter. Un article paru dans le journal Le Courrier d’Ottawa datant du 25 octobre 1862 nous offre une piste. Il s’agit de la reproduction d’une lettre qu’un Monsieur Honoré Robillard avait écrit à son épouse, alors qu’il avait fait le voyage jusque dans le Cariboo pour tenter d’y faire fortune.
L’article qui débutait ainsi :
’Nous publions ci-dessous une lettre venant de Monsieur H. Robillard, adressée à son épouse. Elle aura peut-être l’effet de guérir un grand nombre de nos compatriotes qui sont malades d’émigration. M. Robillard, comme bien d’autres ont été trompés par de faux amis et par l’appas du vil métal, qui ne se trouve pas toujours, même en terre étrangère, comme on pourra en juger par la description qu’il donne des misères endurées par lui et ses compagnons de voyage.’’
La lettre
Victoria, le 4 septembre 1862.
Ma chère épouse,
J’ai du gravir 300 miles (500 km) par-dessus les montagnes pour arriver dans le Cariboo; durant les deux derniers jours, nous avons rencontré des mineurs sur la route, la famine inscrite sur leur visage; nous aussi, avions faim; nous avions voyagé 60 miles sans pouvoir nous procurer des provisions, sauf un petit morceau de foie.
Alex, et deux autres de nos compagnons, épuisés par la fatigue de la marche et le manque de nourriture avaient décidé de laisser cette misère et de retourner sur leurs pas. Moi, cependant, j’avais décidé de continuer, de braver la tempête seul, plus sans doute par désespoir que par courage. Alex a pleuré et je dois avouer que je n’étais pas le loin de le faire moi aussi.
Au moment où nous allions nous séparer, des douzaines d’hommes, venant des mines arrivèrent, leurs visages longs comme des violons. Ils avaient seulement mangé un repas depuis le jour précédent, et nous avons eu du chagrin de leur dire qu’ils ne trouveraient pas de provisions pour un autre 60 miles.
Ils nous ont dit qu’il y avait encore une centaine d’hommes venant vers nous, tous affamés. C’est ce qui m’a décidé de me joindre à mes compagnons, et à redescendre vers la mer.
Tu m’as souvent entendu dire, chère Philomène qu’un homme voulant travailler dans le Cariboo pouvait facilement se faire 10 dollars par jour; et bien, je connais plusieurs personnes, de vieux mineurs qui ont offert de travailler pour leur pitance, tout en attendant que des mines soient découvertes. Plusieurs fois, j’ai maudit le jour où je t’ai quittée.’’
Le reste de l'histoire
Tous ces pauvres gars qui pensaient faire fortune! Et quand ils revenaient du Caribou vers Victoria, il y avait pas grand argent à faire là, pour le voyage du retour.
Notre monsieur Robillard écrit aussi à sa femme qu’il fait deux piastres par jour à couper des troncs d’arbres en billes de 6 pieds… un dur labeur! Il reçoit $2 par jour, mais son hôtel lui en coûte $1 la nuit et il doit débourser 50 cents quotidiennement pour ses repas… À ce compte-là, ça prend du temps à ramasser l’argent pour le voyage de retour!
Car le voyage était long, et coûteux. Depuis Montréal, les hommes se rendaient à New-York par bateau ou par train. Puis par bateau vers l’Isthme de Panama, qu’ils traversaient en train ou à dos de cheval. Nouveau bateau jusqu’en Californie, puis enfin, un dernier bateau vers Victoria.
Et l’inverse pour le voyage du retour.
‘’Il est vrai qu’il y a de riches dépôts d’or dans le Cariboo; mais il n’est pas possible pour tous de les trouver. Les hommes ont exploré le pays, sur 50 miles à la ronde et il n’y a plus rien à trouver.
Monsieur Fairburns, qui m’avait dit que les ‘’claims’’ étaient faciles à trouver dans le Cariboo n’a pas réussi à en trouver à moins de 9 mille dollars, et ce n’est pas tout le monde qui peut se les offrir.
Je ne suis pas le seul à avoir accepté d’être roulé par les dires des beaux parleurs, malheureusement, les malheurs de l’un ne semblent pas être diminués par le malheur des autres. Il y a entre 5 et 6,000 Canadiens dans ces contrées…’’
À l’époque, le terme Canadien, ou Canayen, désignait les francophones de l’Est.
‘’Il y a entre 5 et 6,000 Canadiens dans ces contrées, plus du tiers sont des hommes mariés comme moi, qui ont laissé leur tendre moitié sans aucun support financier, et ceci, afin de devenir des esclaves pendant quelques années de misère, et de ne gagner en bout de compte que des cheveux gris et de l’arthrite.’’
Alors que les journaux anglophones du territoire qui allait devenir le Canada produisait régulièrement des lettres d’hommes partis dans le Cariboo pour y faire fortune, racontant leurs expériences pour certains positives et d’autres négatives, les journaux francophones publiaient majoritairement des comptes-rendus négatifs. La lettre d’Honoré Robillard fut reprise par le Montreal Daily, La Minerve, et la Gazette de Sorel.
D’une certaine façon, on peut croire que la lettre d’Honoré à son épouse, et sa parution dans de nombreux journaux de l’est, peuvent avoir contribué au manque d’intérêt qu’ont manifesté les ‘’Canayens’’ à venir chercher aventure et fortune dans le Cariboo.
Honoré Robillard a sa place dans l’histoire francophone de la Colombie-Britannique, mais aussi dans celle du Canada. De retour à Ottawa où est son épouse l’attend, il occupe successivement les postes de préfet du canton de Gloucester (1873), député provincial de Russell (1883 à 1886) et député fédéral d’Ottawa de 1887 à 1896. Honoré Robillard est le premier Franco-Ontarien à siéger à l’Assemblée législative de l’Ontario