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Par Marie-Hélène Bourret

Nulle part ailleurs au monde qu’en France, la découverte d’or en 1845 à Colma, en Californie ne suscita autant d’intérêt.  Tout près de 20 000 colons français ont navigué vers les côtes californiennes entre 1849 et 1851.  Ils étaient motivés à faire le voyage, non seulement par la possibilité de faire fortune rapidement, mais aussi à cause des conditions en France qui se détérioraient depuis la Révolution de 1848; les exils politiques étaient monnaie courante et les chômeurs se comptaient par dizaine de milliers.  Des sociétés d’immigration, plus ou moins honnêtes, furent même créées pour faciliter l’immigration; les histoires de duplicité et de malveillance sont nombreuses.

Parmi les nouveaux arrivants français, plusieurs étaient tombés malades lors du voyage et se trouvaient incapables de travailler.  D’autres, revenaient des mines dans un état d’épuisement total, sans argent et incapables de se débrouiller en anglais.

Une Société de bienfaisance avait été formée et subventionnée par les dons des mieux nantis de leurs compatriotes

Inspirés par le principe socialiste à la base de cette Société de bienfaisance, qui veut que tous aient droit aux services dont ils ont besoin, sans considération de leurs moyens financiers, Sosthènes Driard, Jules Rueff et son ami Vaillant avaient établi une maison d’Asile pour les malades et les nécessiteux non membres de la Société de Bienfaisance, à San Francisco.

Les trois hommes arrivèrent à Victoria avec suffisamment d’argent en poche pour se partir en affaire. Jules Rueff se fit marchand; quant à Sosthènes Driard, il fit l’acquisition de trois hôtels : Le Colonial, le St-Georges et le Driard.

Rueff et Driard, forts de leur expérience de bienfaisance à San Francisco, entreprennent de créer un groupe ayant les mêmes buts, soit offrir des soins aux habitants de Victoria, sans égard à leur nationalité.

Ainsi, pour devenir membre de la Société Française de bienfaisance et secours mutuels de Victoria, on devait être en bonne santé au moment de son inscription, et verser la somme de $1 par mois.  Les médicaments et les soins médicaux étaient gratuits pour les membres. Ceux et celles qui n’étaient pas membres devaient payer pour leur hospitalisation selon un taux fixé à cet effet. 

Les règlements de la Société stipulaient que le conseil d’administration devait être majoritairement formé par des français et que toutes les négociations devaient être tenues en français. 

Le premier hôpital de 20 lits serait aménagé dans un édifice appartenant à Monsieur Waddington, sur la rue Herald, entre Goverment et Store Street.   Le Victoria Gazette annonçait, le 8 juin 1860, que l’hôpital était prêt à recevoir ses premiers malades.

Mais il faut dire que la ville se développait très rapidement!  Plus de 20 000 personnes, et certains auteurs avancent même le chiffre de 30 000, étaient passés à Victoria en 1858, pour la plupart, des prospecteurs venus chercher leurs permis, leur ‘’claim’’ pour les champs aurifères.  La grande majorité n’était que de passage, mais Victoria est devenue une ville de services.  Les fermes avaient poussé comme des champignons… la population avait explosé et des commerces offrant de la  marchandise de toute sorte se sont implantés rapidement; différents endroits pour dépenser son argent ont vu le jour :  bordels, saloons, fumeries d’opium, salon de jeux… Le pauvre Docteur Clerjon, engagé comme médecin, se retrouvait dans la même atmosphère qu’à San Francisco.

Mais il est mort en 1864 et a fut remplacé par un Docteur I.W. Powell.  L’histoire ne dit pas s’il parlait français!

En 1865, il y a suffisamment d’argent dans les caisses pour construire un hôpital sur la rue Humbolt. L’argent venait non seulement des ‘’abonnements’’ mais aussi des levées de fonds qui se tenaient régulièrement :  pique-niques, tombolas et diners. 

Le pique-nique annuel était si couru, qu’on a instauré un congé civique pour permettre à tous d’y assister.  Et le dîner annuel était un rendez-vous pour de nombreuses organisations de la ville.

Sosthènes Driard est président de la Société jusqu’en 1872, année où il prendra sa retraite.  Il reçut une canne de marche en or en remerciement de ses bons et loyaux services.  Il mourra quelques mois plus.  L’assemblée législative donna congé à ses membres le jour de ses funérailles pour que tous puissent y assister.  Quant à Jules Rueff, il retourna la même année vers sa France natale, pour s’y faire soigner.  Il mourut deux ans plus tard

Après le décès de ses deux principaux fondateurs, l’hôpital français continua à soigner la population de Victoria jusqu’en 1884, année où l’hôpital dut fermer ses portes.  Les membres pouvaient continuer à verser leur contribution mensuelle, et cet argent, au lieu de servir à payer les soins qu’ils recevaient maintenant sous d’autres toits,  permettait de leur verser une allocation hebdomadaire pour le temps de la maladie.

L’année 1890 voit la construction d’un nouvel hôpital, le Jubilee Hospital.  Un comité de la Société Française de bienfaisance et de secours mutuels de Victoria rencontre l’administration du Jubilee pour discuter de la possibilité que les deux hôpitaux se fusionnent.  La raison de cette décision est simple :  l’hôpital sur Humbolt ne répond plus aux normes de salubrité, et si la fusion est impossible, la Société de bienfaisance devra construire un nouvel édifice, au cout vertigineux de $12 000!

Mais les négociations aboutissent et à l’automne de cette même année, l’hôpital français se joint au Royal Hospital, créé en 1858, et cette nouvelle entité prend le nom de :  The Provincial Royal Jubilee Hospital.

Driard demeura jusqu’au bout un citoyen dévoué à sa ville.  Il légua une bonne partie de ses biens à la Société Française de Bienfaisance et de Secours Mutuels de Victoria, ainsi qu’aux Sœurs de Sainte-Anne, qui servaient, elles aussi, les malades et les nécessiteux.

L’association historique francophone de Victoria a installé une plaque commémorative concernant l’hôpital français dans un petit jardin du Royal Jubilee.

Le dévoilement de cette plaque faisait partie d’un projet historique de souvenance-reconnaissance porté et réalisé par l’AHFV. Trouvez ci-jointe la liste des plaques.