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Fanny Bendixen

Un texte de Marie-Hélène Bourret

Pour l’Association historique francophone de Victoria

Les peuples des Premières
Nations connaissaient l’existence de l’or bien avant l’arrivée des premiers
européens, mais ne le considéraient pas comme vraiment précieux. Cette pierre
brillante était molle, trop facilement malléable, et ne semblait d’aucune
utilité. On lui préférait le cuivre, qui avait une valeur très grande dans la
civilisation d’avant contact.

On retrouvait l’or sous
forme de pépites et de sable au fond des rivières, mais on pouvait aussi
trouver des veines dans les cavernes naturelles; des pépites étaient parfois en
surface, à la vue et au su de tous… sans que personne n’ait envie de se les
approprier!

Mais cela changea.  Dès 1850, les Iles Haida Gwai virent leur
première ruée vers l’or.  Pour empêcher
les États-Unis de s’approprier les Iles, James Douglas en prit possession au
nom de l’Angleterre, et en fit une colonie :  la colonie des Iles de la Reine Charlotte.

Les premières découvertes
d’or sur le continent furent gardées secrètes. 
En -effet, tout le territoire étant sous la juridiction de la compagnie
de la Baie d’Hudson, dont l’intérêt principal était la traite de la fourrure,
et la HBC voulant à tout conserver sa main mise sur le territoire, Douglas
interdit la propagation des nouvelles concernant l’or trouvé.

Malgré cette précaution,
au printemps de 1858, la nouvelle que l’on avait trouvé de l’or dans la vallée
du Fraser se répandit comme une trainée de poudre :  en quelques semaines, quelques 30 000
mineurs, prospecteurs et pourvoyeurs de services se ruèrent vers Fort Victoria
pour y obtenir permis et ‘’claim’’. 
Parmi eux, des Américains, des Québécois, des Mexicains, des Chinois et
des Européens de tout horizon.

Puis ce fut le Cariboo,
qui en 1860 fit parler de lui.  On avait
trouvé de l’or dans le bassin de la rivière Quesnel. Mais les distances étaient
trop longues, le terrain difficile. 
Cette découverte n’attira pas autant de prospecteurs que celle du
Fraser.  Après la Guerre du Canyon du
Fraser, James Douglas s’appropria le territoire au nom de l’Angleterre et tout
ce qui avait été connu comme la Nouvelle Calédonie jusque-là, territoire
administré par la Compagnie de la Baie d’Hudson, devint la troisième colonie de
l’Angleterre à l’ouest des Rocheuses, et dont James Douglas était le
gouverneur.  La ruée vers l’or du Cariboo
ne commença vraiment qu’en 1862 après la découverte d’or à Williams Creek.

Ce furent là les premières
ruées vers l’or qui bouleversèrent le paysage culturel et géographique de la
Colombie Britannique ; mais il y en eut trente et une autres!

——–

Fanny Bendixen est née en
France en 1820.  On ne sait pas ce qui
l’a amené à s’exiler vers la Californie. 
C’est là qu’elle épousa Louis Bendixen. 
Le couple fut attiré à Victoria par la ruée vers l’or de la vallée du
Fraser.

Ils investirent une petite
fortune dans la construction du St-George, hôtel de qualité sis au coin des rue
Broad et View. L’institution ouvre ses portes en 1862.

Les débuts sont
difficiles.  Et le couple bat de
l’aile.  Fanny décide de voyager seule
vers Barkerville à l’été 1865, dans le but ultime d’ouvrir un hôtel dans cette
région, et peut-être de renouveler sa relation avec Louis.  Celui-ci demeure à Victoria, pour tenter de
sauver la business.

Barkerville est à la
hauteur de ce que Fanny espérait : 
ville grouillante de monde, aux possibilités illimitées pour ceux… et
celles… qui n’ont pas froid aux yeux. 
Elle y reste quelques mois, le temps de se faire des contacts et
d’étudier le marché potentiel.

Elle revient en décembre
1865… et c’est le drame!  Le Daily
British Colonist rapporte qu’à son retour au foyer familial, Fanny trouve une
femme installée au St-George :  la
maîtresse qui l’a remplacée dans le cœur et le lit de son époux Louis.  Après une dispute qui nécessita la venue de
policiers sur les lieux, Fanny fait ses bagages, et munie d’une bonne somme
d’argent, elle retourne dans le Cariboo.

L’histoire ne nous dit pas
comment elle voyagea :  en bateau, évidemment,
pour traverser vers le continent.  Mais
après?  En canot?  À cheval? En chameau?

Frank Laumeister, un
entrepreneur original, avait eu l’idée d’acheter des chameaux pour faciliter le
transport de marchandises sur les sentiers étroits menant à la région du
Cariboo.  Bien que ces animaux soient
plus forts que les chevaux, et puissent transporter de plus lourdes charges,
leurs pieds mous sont mieux adaptés au sable du désert qu’aux terrains pierreux
des montagnes.  De plus, leur caractère
difficile n’en fait pas les animaux les plus dociles… et ils mangent de
tout :  depuis les barres de savons
jusqu’aux pantalons.  L’aventure fut de
courte durée, mais elle fut mémorable! 
Alors… il ne serait pas surprenant qu’une aventurière comme Fanny
Bendixen décidât d’utiliser la caravane de chameaux pour retourner à
Barkerville y chercher fortune.

Quant au St-George de View
Street, il fut acheté par Sosthèmes Driard, après la faillite du couple
Bendixen, et porta le nom de son nouveau propriétaire.  Plus tard, Driard investit dans la
construction d’un autre hôtel, en 1892, du côté sud de la même intersection; la
façade de cet hôtel fait maintenant partie intégrante de l’architecture du Bay
Center.  Une plaque commémorative
rappelle la contribution de Sosthèmes Driard à l’histoire de Victoria.

Louis rejoignit Fanny au
Parlour, et il semble qu’il passa les années qui suivirent à Barkerville.  Fanny était déjà reconnue comme une femme
d’affaire efficace et expérimentée.  En
1867, elle ouvrit un deuxième saloon, le Bella Union, dont la réputation en
faisait un endroit de la plus haute élégance et où on pouvait fumer les meilleurs cigares et boire un
alcool de qualité.

Malheureusement, un
incendie détruisit Barkerville en septembre 1868.  Le feu se répandit rapidement et la ville,
dont tous les édifices étaient faits de bois, fut totalement détruite en moins
de trois heures. L’hiver serait bientôt là :  tous se mirent à la tâche, et la ville fut
reconstruite en six semaines à peine.

Fanny estima ses pertes à
$5000.  Il semble qu’elle eut de la
difficulté à se ré-établir après l’incendie, même si elle s’associa à James
Burdick en 1869; elle apparaît comme propriétaire du nouveau St-George Saloon
en 1871.  Elle diversifia ses
investissements et fit construire un nouveau saloon à Van Winkle, suivant la
découverte d’or à Lightning Creek.

Ce saloon à Van Wikle fut
déclaré comme l’un des meilleurs salons de lecture et d’art de Lightning
Creek.  Fanny faisait venir à grands
frais des livres, en français et en anglais, depuis Victoria, San Francisco et
du reste du Canada; on y tenait aussi des soirées où les amoureux de poésie se retrouvaient, spectateurs
ou écrivains.  Le Juge Begbie, le
‘’Hanging Judge’’, y séjournait régulièrement, lors de ses tournées
professionnelles et comptait parmi les amis proches de la tenancière.

En 1874, elle vendit le
Van Winkle et ouvrit le Exchange à Stanley. 
À la fin de la décennie, les beaux jours de la ruée de l’or du Cariboo
étant terminés, Fanny retourna à Barkerville, la seule ville de la région
encore suffisamment peuplée pour pouvoir y faire affaire.

Fanny Bendixen fut
propriétaire de saloon jusqu’à la fin des années 1890 et fut la seule femme
listée dans l’annuaire commercial de la communauté de façon régulière.

Elle survécut à son mari pendant 18 ans et elle
mourut en 1899, à Barkerville.